La chute des Picavet-Faÿs, famille lilloise du XIXème siècle

Après vous avoir parlé d’Antoine Picavet (vous pouvez retrouver l’article qui lui est consacré ici), je vais maintenant vous parler de son fils Louis et de sa famille. Je tiens particulièrement à remercier Michel Kornmann pour toutes ses recherches sur la filature et la famille Picavet, ainsi que les témoignages qu’il a pu recueillir.

L’enfance de Louis Picavet

Louis Joseph nait donc à Quesnoy-sur-Deûle le 10 avril 1842 où ses parents se sont mariés 3 ans plus tôt. Du premier mariage de son père, il a deux grands frères, Désiré et Victor qui ont respectivement 14 et 9 ans. Juste après sa naissance ses parents déménagent à Lille où son père Antoine a installé sa filature de lin. Ils emménagent d’abord au 80 rue du Molinel puis au 7 rue des Débris Saint Étienne.

Après lui naitront 3 autres enfants, mais seul son frère Léon et sa sœur Marie survivront. La fratrie est donc composé de 5 enfants, mais avec de grandes différences d’âges puisque Désiré à 20 ans de plus que Marie.

Louis n’a que 16 ans lorsque sa mère Élisa BECQUART décède le 20 septembre 1858 à Lille, 7 rue des Débris Saint Étienne.

Son épouse, Élodie Faÿs

Élodie Adèle Marie Faÿs nait 7 ans après son futur mari, la veille de Noël, le 24 décembre 1849 à Lille, au 4 rue du Priez, juste à côté de l’église Saint Maurice.
Son père Félix est négociant en fils de lin et d’étoupes (sous-produit fibreux non tissé issu essentiellement du travail du chanvre ou du lin, utilisé par exemple dans la construction des bateaux en bois), alors que sa mère Hortense POËLMAN ne travaille pas. Bien qu’originaire du Pas-de-Calais pour lui et de Belgique pour elle, ils vivent à Lille depuis plusieurs années.

Élodie a une sœur ainée, Mathilde née 21 mois avant elle. Je n’ai pas retrouvé d’autres enfants pour ce couple. Tout comme son futur conjoint, Élodie perd l’un de ses parents à l’âge de 16 ans, mais il s’agit de son père.

Le mariage

Louis et Élodie se marient à Lille le 6 avril 1869. Louis est à la veille de ses 27 ans, et Élodie en a tout juste 19. Ils habitent dans la même rue, Élodie au numéro 36 rue de Fives (qui l’ancienne adresse des ses grands-parents paternels) et Louis au numéro 43 (qui semble être son adresse personnelle). Lors de son mariage, Louis est noté comme négociant.

La famille s’installe au 43 rue de Fives, dans une grande maison bourgeoise où leurs 11 enfants vont naitre. Cependant deux petites filles vont décéder juste après leur naissance. Le couple aura donc 4 garçons et 5 filles.

Malheureusement parmi ces 11 enfants, deux des petites filles, Jeanne et Marguerite décéderont dans l’enfance. La première d’une méningite, et la seconde d’une tuberculose. On constate donc que même dans les familles aisées, la maladie frappe et laisse des traces.

La filature Picavet

Le père de Louis, Antoine, passe de marchand de lin à filateur. Il implante sa première filature à Lille en 1836, d’abord avec son frère Xavier, puis avec ses deux fils ainés, Désiré et Victor. C’est d’ailleurs Désiré qui achète en 1872 le terrain situé rue Kleber où sera implantée l’usine Saint Sauveur des Picavet. Sur ce terrain sera construite une filature de lin, mais également une fabrique de fil de lin pour mercerie et de nombreuses marques seront déposées, principalement sous la marque PAé (Picavet Antoine ainé).

© Michel Kornmann

Cependant les deux frères ainés de Louis meurent prématurément en 1877 et 1864. Il semble donc que Louis reprennent les rênes de l’entreprise familiale en 1877, sous le nom de L. Picavet Ainé, il a alors 35 ans. Il est également aidé par son petit frère Léon.

Il s’agit d’une entreprise relativement petite comparée à d’autres filatures lilloises, et elle s’est spécialisée non pas dans le fil à tisser, mais dans le fil à coude, ainsi il vend directement aux couturières et non aux industriels tisserands.

La filature est prospère et les affaires marchent bien, Louis et Élodie font donc partie des riches familles de la région lilloise comme le montre cette photo familiale.

Famille Picavet-Faÿs et 6 des enfants – avril 1894
Probablement au 43 rue de Fives

Cependant la conjoncture à la fin du XIXème siècle est bien moins favorable aux filatures du lin. En effet, elles subissent la concurrence du coton qui est une industrie bien plus propre et qui nécessite bien moins d’ouvrier :

Pour 1.000 broches, il faut 50 ouvriers du lin et 5 ouvriers du coton seulement

A.Aftalion, Crise de l’industrie linière et la concurrence du coton, Lib. Soc. Recueil des lois Paris (1902)

La faillite de l’entreprise et le déshonneur la famille

L’entreprise Picavet n’échappe pas à la règle et la filature est déclarée en faillite vers 1900. Si la conjoncture est en partie responsable, la gestion de Louis pourrait également être mise en cause, il semble qu’il avait la réputation d’être joueur et d’avoir des maitresses. Dans tous les cas, c’est un drame pour la famille, qui est mis au banc de la bonne société lilloise.

La famille est contrainte de déménager, d’abord au 34 rue de Turenne (en 1901) puis au 3 rue Charles Muyssaert (à partir de 1903) à Lille.

C’est d’ailleurs à cette adresse que décède Louis le 16 juillet 1911 à l’âge de 69 ans.

© Jean-Pascal Perrenx

Son épouse Élodie meurt 17 ans plus tard le 23 avril 1928 toujours à Lille, mais au 56 façade de l’Esplanade, dans une maison de retraite tenue par les Franciscains.

© Jean-Pascal Perrenx

A noter les paroles prononcées une semaine avant sa mort, on y voit que la famille et l’entente entre ses enfants était très importante pour elle. Il semble que malgré la faillite, elle est toujours été très digne dans les épreuves.

Les enfants

● Victor et Germaine entrent dans les ordres

Germaine et Victor Picavet – Aout 1920 à Hem

Comme c’est assez fréquent dans ce milieu et à cette époque, deux des 7 enfants choisiront la voie de Dieu. Peut-être la faillite familiale a t’elle contribué à ce choix.

Après des études au Collège Notre Dame de Tournai (Belgique), Victor, le second de la fratrie, deviendra prêtre Jésuite dans la Compagnie de Jésus.

Le 20 octobre 1805, à l’âge de 35 ans, il embarque à Marseille pour Madagascar. Il y sera dans un premier temps enseignant au collège jésuite St Joseph à Tananarive puis missionnaire catholique à Fianarantsoa. Au total, il y vivra pendant plus de 50 ans et y décédera à l’âge de 78 ans. Cependant vu qu’il est présent sur un certain nombre de photo d’événements familiaux, il est probable qu’il rentrait régulièrement

Il est probable que cette destination lui aura été soufflée par son petit frère Émile qui y a séjourné quelques années plus tôt. Son cousin Jean Fauvarque, également religieux, y décède également.

Germaine entrera dans les ordres dans la congrégation de la Mère de Dieu. Elle sera dans un premier temps en poste à Tournai (Belgique), puis à Surbiton (Angleterre) où elle deviendra mère supérieure Marie de Nazareth. Il faut rappeler qu’à partir de 1903 les religieuses doivent quitter la France.

Elle fini sa vie à Étampes, le 10 juin 1944, victime civile des bombardements de la ville, à 61 ans.

● Louis l’ainé

L’ainé des enfants, qui porte le même prénom que son père, va travailler dans un premier temps dans la filature familiale jusqu’à la faillite de celle ci. Il semble qu’il y travaille encore ensuite pour le repreneur.

Ce n’est qu’après la faillite qu’il épouse Flore LECLERCQ, une ouvrière dont il est tombé amoureux. Cela explique peut-être son mariage tardif (à 33 ans) le 3 septembre 1903 à Lille.

Le couple n’aura pas d’enfant, Louis décède à 75 ans, à Lille juste avant la fin de la guerre, le 14 septembre 1945, et Flore 12 ans plus tard à 85 ans.

● Marie-Louise

L’ainée des filles, épouse à 29 ans, le 20 février 1903, Raymond SAUVAGE qui a 12 ans de plus qu’elle.

Cet architecte lillois à épousé 3 ans plus tôt Gabrielle DORIGNY mais celle-ci décède à 27 ans après seulement 2 ans de mariage.

Marie-Louise et Raymond auront 1 seul fils André.

En 1930, Raymond reçoit la légion d’honneur pour son travail en tant qu’architecte au service de la ville de Lille.

Raymond est le premier à décéder, le 3 mars 1938 à Lille.

Raymond Sauvage

Durant la deuxième guerre mondiale, le reste de la famille (Marie-Louise, son fils et ses 4 petits enfants) vont partir pour Ustaritz dans le Pays Basque et ils y resteront. C’est là que s’éteint Marie-Louise à 76 ans, le 4 février 1950.

● Joseph mon arrière-arrière-grand-père

Joseph va dans un premier temps travailler dans la filature familiale. Il a 24 ans lorsque celle ci est liquidée.

Il épouse à 27 ans, le 3 mai 1904 Anna VALCKE, fille d’un fabricant de chapeaux originaire de la région de Bruxelles.

Les courriers retrouvés semblent montrer qu’il s’agir d’un mariage d’amour.

Le couple aura 3 filles : Agnès, Anne-Marie et Cécile.

Mariage d’Anna et Joseph – mai 1904

Joseph va alors travailler dans la chapellerie pour femme de son beau-père Camil VALCKE.

Tout comme ses frères (excepté Victor qui est alors missionnaire à Madagascar), Joseph va combattre pendant toute la première guerre mondiale. Il en revient avec la Croix de Guerre, mais surtout après avoir inhalé beaucoup de gaz toxiques. Un an seulement après son retour, le 18 décembre 1920, il décède, alors seulement âgé de 44 ans.

Sa veuve Anna va alors s’occuper de la chapellerie familiale et de l’éducation de ses 3 filles, elle ne se remariera pas. Elle décède après 42 ans de veuvage, à l’âge de 88 ans à Lille. Vous pouvez retrouver l’article qui leur est consacré ici.

● Émile qui part à Madagascar puis à Nancy

Émile Picavet enfant

Le dernier des 4 fils semble être le seul blond.

Dans un premier temps Émile va également travailler à la filature de lin familiale, plutôt comme représentant.

Cependant, son frère Joseph a tiré le mauvais numéro et doit effectuer son service militaire, laissant un vide dans l’organisation de l’usine. Émile se propose donc de prendre sa place et s’engage comme volontaire en 1898 pour 3 ans !

Émile Picavet

A son retour, la faillite a été prononcé et il saisit alors l’opportunité qui se présente d’aller à Madagascar car ne souhaite pas rester à Lille, où la famille est tombée en disgrâce. Il y est employé dans une société de commerce alimentaire (établissement Gatry de Marq-en-Bareuil) à Ambositra, à 255km de Tananarive. Il y passe 5 ans et rentre en 1907 à Lille. Son frère missionnaire Victor étant arrivé en 1905, il est probable que les deux frères se soit croisés.

Il épouse à 31 ans, le 7 octobre 1911 Hélène DELERUE, fille d’un courtier Lillois. Ils partent ensuite à Nancy où ils auront 2 filles, Annie et Marie-Noëlle qui auront 9 ans d’écart (la guerre étant passée par là).

Émile est le premier à décéder à 85 ans à Nancy, suivi 9 ans après par Hélène alors âgée de 93 ans.

● Hélène

La benjamine survivante de la fratrie épousera à 24 ans, juste avant le début de la guerre, le 24 juillet 1914, Étienne FLAHAULT, ingénieur fils d’un négociant Lillois. Le couple aura tout d’abord une fille, suivie de 6 garçons !

Famille Flahault – Picavet en 1918 au Tréport
Famille Flahault – Picavet et leurs 7 enfants

La famille va ensuite déménager à Nantes où Hélène décède à l’âge de 90 ans, le 22 mai 1980 et son mari Étienne 4 ans plus tard, à l’âge de 98 ans.

Conclusion

Après la belle ascension sociale de son père Antoine qui profitera du développement de l’industrie textile dans le Nord en créant une filature de lin, Louis et Élodie seront une famille aisée faisant partie de la bonne société lilloise. Cependant la faillite de la société familiale qui intervient alors que Louis a 58 ans, va beaucoup marquer la famille, notamment les plus jeunes (les enfants ont alors entre 30 et 11 ans).

On constate d’ailleurs que tous les mariages des enfants ont eu lieu après cette période.

Ainsi avec Louis Picavet se termine l’industrie du lin du même nom. C’est également la fin du nom PICAVET, car sur les 3 garçons à s’être marié, l’ainé n’a pas eu d’enfant, et les deux autres ont eu respectivement 3 et 2 filles. Sur ses 5 filles, seulement deux se marieront, elles auront un garçon pour la première et une fille et 6 garçons pour la seconde, mais qui ne porteront donc pas le nom Picavet.

André Sauvage, Marie-Louise P ép Sauvage, Flore Leclercq ép P, Louis P, Joseph P
Hélène P ép Flahault- Germaine P – Elodie Faÿs – Victor P – Anne Valcke ép P
Cécile, Agnès et Anne-Marie P (filles de Joseph et Anna)

Les liens familiaux joueront un rôle très important comme le montre les dernières paroles d’Élodie Faÿs, mais également cette photo prise en 1920 (quelques mois avant la mort de Joseph) où sont présent 6 des 7 enfants Picavet avec leur mère (il ne manque qu’Émile).

Malgré la déroute financière de leurs parents, les enfants réussiront tout de même dans leur vie, et garderont une certaine aisance financière et un certain statut social, mais parfois au dépens d’un déménagement dans une autre région (Madagascar, Nancy ou Nantes).


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